Chers lecteurs, chers lectrices, chers tous,
Le numéro 38 de Canard PC Hardware marque la fin de mon règne despotique en tant que rédacteur en chef irascible : je quitte Presse Non Stop après 13 ans de journalisme total et plusieurs centaines d’articles scandaleux qu’aucun éditeur raisonnable n’aurait jamais dû accepter de publier. J’en profite également pour faire mes adieux à la presse en général.
Avant de rendre ma carte de journaliste, je voulais vous remercier sincèrement pour ces presque 10 ans où vous m’avez suivi sur CPC Hardware voire – pour les plus vieux d’entre vous – depuis 2001 sur x86-secret.com. Je souhaitais aussi vous expliquer une partie des raisons qui m’ont mené à cette décision.
Fin 2010, j’écrivais dans CPC Hardware n°7 : “La décélération constante de l’évolution des performances devient de plus en plus compliquée à masquer aux yeux des consommateurs. Le temps où un CPU chassait le précédent avec un gain de 80 ou 100 % est révolu depuis bien longtemps. Désormais, une nouvelle génération offre une amélioration réelle d’à peine 15 à 20 % à fréquence égale.“. C’est peu dire que les choses ne se sont pas améliorées depuis…
Les évolutions de nombreux produits se résument désormais à des trompe-l’œil marketing qui n’apportent rien de fondamentalement nouveau. Les véritables innovations – de celles qui changent la vie des utilisateurs – sont devenues rarissimes ; la dernière en date reste probablement la démocratisation des SSD (un avis que je partage d’ailleurs avec Marc de feu Hardware.fr, qui a lui-même jeté l’éponge en mai dernier). Bref, j’ai moi aussi perdu la motivation pour commenter une énième déclinaison de Skylake ou la dernière carte-mère qui ne se distingue de la précédente que par ses deux ports USB supplémentaires.
Malgré tout, même après 20 ans passés à écumer le hardware, je m’enthousiasme toujours pour un tas d’autres sujets : je pourrais passer des heures à décortiquer une nouvelle alimentation, rédiger un hors-série entier sur l’architecture Zen, tester tout le catalogue d’adaptateurs louches de Startech, écrire un livre sur la genèse du 8086, ou expliquer le fonctionnement d’un FPGA sur 50 pages. J’adore aussi contribuer à divers projets de financements participatifs d’apparence révolutionnaire (bien que souvent voués à l’échec) et je me passionne toujours – et de plus en plus – pour la conception et le développement de bidules électroniques divers et variés.
Mais il faut bien l’admettre : mes centres d’intérêt ne sont plus vraiment en phase avec ce qui peut faire vivre économiquement un magazine papier aujourd’hui. J’ai bien sûr envisagé de me tourner vers Internet pour élargir le cercle de mes lecteurs, mais il n’existe guère de modèle économique sain et viable pour le type de presse que j’ai encore envie de faire. De plus, j’ai bien conscience que la liberté dont j’ai pu bénéficier pendant longtemps sur CPC Hardware est unique : aucun autre média ne pouvait m’offrir une telle indépendance.
Je vais donc bientôt m’exiler dans des contrées lointaines et sauvages, peuplées de loups et de moustiques-tigres, afin d’explorer de nouveaux horizons professionnels particulièrement motivants à mes yeux. Si mon futur job reste encore (pour quelques semaines) sous NDA, je peux déjà vous rassurer : j’ai décliné les offres d’Intel et d’AMD, esquivé les tueurs à gages de Nvidia, et je ne compte pas devenir attaché de presse ou Youtubeur spécialisé dans l’Unboxing Hardware. Dans tous les cas, je compte bien continuer de lutter contre le bullshit marketing.
Il est temps pour moi de laisser Canard PC Hardware aux mains de Dandu, Mr Chat, Sonia et Toto, qui insuffleront un nouveau souffle au magazine dès le prochain numéro. De mon côté, je continuerais évidemment à poster rageusement sur Twitter (mes DM sont ouverts) et parfois sur ce site pour des sujets plus complexes.
Permettez-moi, pour finir, d’exprimer ma gratitude pour ces 13 ans de folie :
Merci à vous, lecteurs, désormais membres d’une secte d’irréductibles illuminés qui continuent d’acheter du papier contre vents et marée. Prenez soin de vous et ne laissez pas d’avides influenceurs de pacotille entrer dans votre cercle.
Merci à l’ensemble de mes sources russes d’avoir partagé leurs informations par Telegram, leurs datasheets en PDF, leurs machines en Remote Desktop, leurs samples par UPS et leur bière au bistro. Merci de m’avoir fait confiance. Nous eûmes parfois chaud aux miches ensemble, mais en 18 ans, personne n’a été grillé par ma faute. J’en retire une grande satisfaction.
Merci aux (rares) attachés de presse qui ont continué de discuter avec moi malgré les horreurs que j’écrivais sur leurs produits et/ou les blasphèmes que je leur envoyais par Skype.
Merci à tous les membres de Presse Non Stop, passés ou présents, qui ont apporté folie, chaos et rigolade (et à ceux qui ont supporté mes retards chroniques et les bouclages au petit matin sous stéroïde).
Merci à toi, Casque, d’avoir rendu tout ça possible, de m’avoir soutenu malgré les menaces de procès, et d’avoir répandu ta bienveillance et ta bonne humeur pendant toutes ces années. J’aimerais que tu sois encore là.
Merci à tous !
Cordialement du cul,